Quelle place pour l’art à Saint-Martin ?
Le 978 Sanctorum accueillait samedi 21 septembre une discussion sur le rôle de l’art dans la société moderne. Plusieurs acteurs du monde de l’art à Saint-Martin se sont interrogés sur la place de l’art sur l’île, les problématiques rencontrées et émis des pistes de solutions.
Dans son exposition « Humanz » actuellement présentée au 978 Sanctorum, l’artiste-peintre Ras Mosera interroge la notion d’humanité et les relations sociales. Pour pousser la réflexion un peu plus loin, le restaurant accueillait samedi soir une discussion sur « le rôle de l’art dans la société moderne ». Aux côtés de Ras Mosera se trouvaient Menelik Arnell, musicien et directeur artistique de l’Axum Art Cafe à Philispburg, et Zdenka Kiric, créatrice de bijoux et fondatrice de The Art Box Gallery à Cole Bay.
ART DÉCORATIF OU ART CONCEPTUEL
L’art est, depuis tout temps, un miroir de la société qui nous amène à réfléchir sur notre propre humanité. Ras Mosera, qui utilise la peinture comme un commentaire social, estime que l’art « doit pouvoir amener la discussion sans être censuré ou autocensuré ». Mais à Saint-Martin, cet art qui fait réfléchir peine à trouver sa place au profit d’un art plus décoratif. Et pour cause : l’économie est orientée à 95% vers le tourisme. « Pour prospérer économiquement ou simplement survivre, on est obligés de proposer un art acceptable, un art qui plaît au grand public », explique Zdenka Kiric, fondatrice de la seule galerie d’art encore debout à mettre en avant le travail des artistes saint-martinois et plus largement caribéens. Pour Ras Mosera, « il faudrait différencier l’art pour les touristes, et l’art moderne, plus conceptuel. » Cela nécessiterait des lieux dédiés à l’exposition, à la contemplation (musées, centres culturels…) et non à la vente. Un point noir dans le paysage culturel de l’île depuis le passage d’Irma : le manque toujours cruel de structures, des deux côtés.
S’APPUYER SUR LES AIDES
Les initiatives gouvernementales sont pour Zdenka Kiric l’un des trois piliers sur lesquels repose le futur des galeries d’art et des lieux culturels à Saint-Martin. « Nous ne pouvons pas survivre sans politiques spéciales, en matière de taxation notamment », estime-t-elle. Pour Menelik Arnell, la solution c’est « 50% d’aides gouvernementales et 50% de développement d’entreprise. » Il rappelle l’existence de nombreux fonds publics, que ce soit en partie hollandaise ou française, auxquels les acteurs de l’art et de la culture sont éligibles. « Le Ministère de la Culture français dispose d’un budget de 4 milliards d’euros. Le gouvernement hollandais propose aussi des bourses pour le développement de projets culturels. Il y a des solutions, mais trop peu de personnes en ont connaissance ».
L’ÉDUCATION ET L’INFORMATION
Pour Zdenka Kiric, le deuxième pilier est l’éducation. « Dans les écoles, la créativité est bridée. On ne permet pas aux enfants d’être qui ils sont vraiment, on les enferme dans des cases ». Ras Mosera va plus loin en parlant d’« illettrisme culturel », un fléau qui prend racine dès l’enfance. « On apprend aux enfants à lire, écrire et compter, on leur inculque un programme social qui leur permettra d’avoir du travail plus tard, mais on ne leur enseigne ni la créativité ni la pensée critique. » Pour l’artiste-peintre, le manque d’éducation dans la société empêche de s’intéresser à l’art, de l’apprécier et de le comprendre.
Tout l’enjeu est donc de prendre le problème à la base, mais aussi de faciliter l’accès à l’art à l’âge adulte. Pour cela, il faudrait « sensibiliser le public et engager la communauté ». Zdenka Kiric aimerait « qu’on puisse créer une industrie de l’art, un tourisme de l’art, où les voyageurs viendraient ici spécialement pour cela » La galériste imagine même des salons d’art qui réuniraient les artistes caribéens et attireraient des amateurs du monde entier. Pour voir les choses progresser, « nous devons travailler ensemble, encourager les partenariats », estime Menelik Arnell, « c’est la seule solution ».