Skip to main content

Violence juvénile : une montée en puissance

Par Ann Bouard
26 May 2025
La 1re table ronde était animée par Marie-Lucie Godard, vice-procureur, Marie-George Martinvalet-Turinay, juge pour enfant et François Zimmer, commandant en second de la gendarmerie

Pour la 8e édition de la Journée Nationale d’Accès au Droit, l’association France Victimes 978, le Conseil Départemental de l'accès au Droit de Guadeloupe, le ministère de la Justice et la gendarmerie avaient choisi de se pencher sur la problématique de la violence chez les jeunes. Un fait de société particulièrement marqué à Saint-Martin.

Le thème était abordé lors de deux tables rondes vendredi dernier dans la salle historique du tribunal. Dans l’assemblée, représentants d’associations, magistrats, acteurs de la protection à l’enfance, collégiens pouvaient interagir avec les interlocuteurs : le chef d’escadron Franck Zimmer, la vice-procureure Marie-Lucie Godard, la juge des enfants Marie-George Martinvalet-Turinay ainsi que les psychologues Farah Viotty, Eva Da Silva et Errol Nuissier.


La 2nde table ronde était animée par les psychologues, Eva Da Silva, Farah Viotty et Errol Nuissier.

Un état des lieux inquiétant

Le commandant en second de la gendarmerie, François Zimmer, le constate, il y a de plus en plus d’auteurs, mais également de victimes mineures dans les actes de violence. En 2024, sur les 3200 victimes de faits délictuels, 237 avaient moins de 18 ans. Des mineurs qui sont surreprésentés dans les faits de violence, et notamment dans le cas de violences sexuelles, où ils représentent plus de la moitié des délits constatés.
Les chiffres sont également à la hausse du côté des auteurs. En 2024 sur l’ensemble des faits commis à Saint-Martin, les mineurs sont à l’origine de 35% des cambriolages, 13% des vols avec violence, 27% des vols de deux-roues, plus de 8% des violences physiques, 12% des violences crapuleuses et 36% des violences sexuelles. Des faits commis par des individus de plus en plus jeunes et de plus en plus violents, note également Marie-George Martinvalet-Turinay : sur les 77 affaires appelées concernant des mineurs, 37 sont des faits de violence.

Des chiffres qui surprennent

Après quelques mois sur le territoire, François Zimmer, se dit surpris par cette violence chez les jeunes, souvent victimes ou auteurs de faits très graves, subis dans la rue ou dans le cadre de violences intrafamiliales, et même désormais au sein des établissements scolaires. « On se déplace sur des scènes de crime, avec des jeunes de 14 à 16 ans criblés de balles. Il ne faut pas se voiler la face, la violence provoquée ou subie n’est pas anodine », constate-t-il.
Même sentiment, du côté du ministère public. Marie-Lucie Godard, estime qu’il règne un sentiment d’impunité sur l’île. Venant du sud de la France où la violence est omniprésente, elle avoue avoir été « estomaquée » par la violence des plus jeunes. Mais dit-elle, « il faut vite s’enlever de la tête que les mineurs ne risquent rien ». 

La poursuite des mineurs n’est pas une légende

En effet, le fait de croire que les mineurs ne sont pas justiciables est une légende. Si les moins de 13 ans ne peuvent faire l’objet que de mesures éducatives, passé cet âge, tout mineur peut être poursuivi. Si une alternative aux poursuites peut être trouvée, selon l’intensité et la gravité des faits, la troisième option est un renvoi devant le tribunal ou le juge des enfants. Enfin dernière option, mais non pas des moindres, un mineur peut être placé en détention provisoire à l’issue de sa garde à vue. En l’absence de centre éducatif fermé sur le territoire, il est alors envoyé à Port-Louis ou en Guyane ou placé sous contrôle judiciaire.
Des mesures qui vont se durcir avec la nouvelle loi visant à renforcer la justice des moins de 18 ans. Ainsi l’excuse de minorité (jusqu’à présent la peine pouvant s’appliquer à un adulte était divisée par deux pour un mineur) va être restreinte, les comparutions immédiates seront instituées pour les plus de 16 ans ayant déjà eu affaire avec la justice et la responsabilité des parents sera renforcée. En clair, les mineurs seront donc jugés comme des adultes.

Juger, c’est comprendre

Pour Marie-George Martinvalet-Turinay, il faut comprendre l’origine des violences pour pouvoir les juger. Entre une violence protéiforme, comme le phénomène de prostitution, où le recrutement est opéré par des mineurs ou des violences hétérogènes, dont les causes ne sont jamais les mêmes, elle constate que dans deux tiers des cas les auteurs placés en centre éducatif ont été suivis par les services de la protection de l’enfance. Autre constat qui mérite aussi réflexion, les violences d’intensité importante sont commises par des jeunes jusque-là inconnus de la justice avec désormais une présence récurrente des armes à feu, louée à la semaine 800€, achetée en partie néerlandaise, prêtée ou même fabriquée en 3D ! Il y a une banalisation du phénomène. Force est de constater pour les magistrats qu’ils font de la gestion d’échecs. Cela signifie qu’il faut s’attaquer aux causes, comprendre, et cela relève des missions entre autres des psychologues. Une lourde tâche qui était abordée lors de la seconde table ronde. La salle du tribunal était comble, et les messages visaient tout particulièrement les collégiens présents… espérant qu’ils se feront le relais de toutes ces informations.

Ann Bouard