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Saint-Martin : eldorado des artistes ?

Par Swanee Ngo Kanga
19 décembre 2023

Tout est possible à Saint-Martin, et ces trois artistes le montrent bien. Muriel, ancienne directrice de direction, vient d’ouvrir sa première boutique de chapeaux faits main à Marigot, Benoît, 25 ans, exposera ses toiles texturées en plâtre et sable le 21 décembre prochain, et Alfredo, 62 ans, partage sa passion de Jacques Brel aux quatre coins de l’île. Rencontre. 

MURIELLE PROTEAU, AUTODIDACTE A SUCCES

Rien ne prédestinait cette normande de 49 ans, à passer d’une carrière d’assistante de direction à la confection de chapeaux en raphia plébiscités à Saint-Martin, Saint-Barthélemy et en Martinique. Et pourtant, après 25 années en entreprise, cette maman d’un jeune étudiant opère une première reconversion à 40 ans pour devenir conseillère en image en Martinique. Une manière d’honorer son amour pour la mode, elle qui confectionne à la main ses propres sacs et chapeaux. Mais lorsqu’une personne qu'elle coache à la vente de vêtements la met au défi de partager ses propres créations avec un public, l’idée lui parait d’abord saugrenue :«Je le faisais simplement pour moi car j’aime porter des pièces uniques, mais je n’avais jamais pensé à les vendre. Ça me paraissait totalement fou», admet-elle. Muriel accepte tout de même d’en vendre quelques-uns. Succès immédiat. Lorsqu’elle quitte la Martinique pour Saint-Martin il y a deux ans, la créatrice renouvelle l’expérience au marché de Grand-Case. Carton plein à nouveau. Toutes ses pièces se vendent aussitôt. Même chose pendant la West Indies regatta de Saint-Barthélemy. Ses chapeaux, visières et sacs décorés s’arrachent. De là à ouvrir une boutique ? Pas si sûre. Muriel se contente d’abord d’en distribuer à différentes boutiques avant de se rendre à l’évidence: ses créations artisanales d’une centaine d’euros en moyenne partent comme des petits pains, et ce qui n’était alors qu’un hobby consistant à orner de jolis chapeaux ou sacs à dos en raphia de perles, coquillages et autres fantaisies devient «Mademoiselle Leewad», une petite boutique de Marigot proposant des pièces uniques entièrement confectionnées par ses soins : «Je me demande pourquoi j’ai attendu si longtemps, se dit-elle aujourd’hui, au milieu de ses collections du moment :«Je me fournis au Maroc ou au Mexique et sélectionne des chapeaux ultra finis, de parfaite qualité, que j’agrémente d’ornements faits main. Je peux passer 1 à 2 heures sur un chapeau, le monter, le démonter, et créer non-stop toutes les semaines». Chaque pièce qui orne son magasin est unique et répond à son inspiration du moment. Ce qui ne l’empêche pas de vendre des collections «spécial carnaval» sans jamais reproduire deux fois la même chose :«Tout est faisable sur commande également», ajoute-elle. Muriel a ainsi customisé des chapeaux sur-mesure pour l’un des duos gagnants du festival de la gastronomie il y a quelques semaines. Une conversion réussie donc.

BENOIT DELAPORTE, LE PRECOCE QUI INCRUSTE LA TERRE DE BAIE ROUGE SUR SES TOILES

Quel est le message caché derrière les couches successives déposées sur les épaisses toiles de Benoit Delaporte ? Difficile à dire. L’artiste arrivé à Grand-Case avec ses parents à l’âge de 3 ans pratique une écriture volontairement dépourvue de sens et laisse à l’observateur le choix d’y lire sa propre histoire. Du haut de ses 25 ans, le jeune homme dit chercher ainsi la catharsis dans son atelier de Cul de Sac, où il donne libre cours à ses émotions. Après avoir grandi auprès de deux grands-pères fans de peinture, Benoit décide de faire des études d’architecte paysagiste à Versailles. Il passe ensuite un an à Lisbonne pour voir autre chose, avant de ressentir un attachement irrémédiable à son île d’adoption qu’il retrouve il y a deux ans, et dont il s’inspire pour son art :«Je suis bien dans ma tête ici, et je me sens vraiment mieux pour créer», explique-t-il. Avec une approche artistique bien particulière: «Je commence par des couches de peintures, souvent de couleur bleue et verte en référence à l’île, reprend-t-il. Puis, j’écris de manière instinctive des mots et des phrases faisant parfois référence à Saint-Martin, que je recouvre de plâtre, de sable, ou de terre ramassée à Baie aux Prunes par exemple. L’écriture gravée est dissimulée sous ces couches, et ne laisse apparaitre que des fragments. Ce qui reste, c’est donc l’émotion que chacun s’approprie intuitivement.» Des peintures texturées et enrobées de mystère qui suscitent donc la curiosité et font sa marque de fabrique. Benoit Delaporte exposera ses imposantes pièces vendues entre 1000 et 1500€ ainsi que des formats plus réduits le 21 décembre prochain dans la boutique One by K d’Hope Estate, avant de peut-être exporter ses tableaux à l’étranger dans les années à venir.

ALFREDO MERAT, CHANTER BREL SUR UN PETIT AIR LATIN

Spécialiste de la location de villas de luxe dans le monde, Alfredo Merat découvre Saint-Martin en 1990. Comme souvent, la magie opère instantanément, et celui qui a l’habitude de parcourir des coins de paradis comme les Bahamas ou les îles Vierges britanniques se prend d’affection pour ce petit bout de France à l’esprit créole. Celui qui est coutumier des Hampton et des bars new-yorkais décide de faire découvrir son répertoire mêlant compositions personnelles, hymne à Jacques Brel, influences cubaines et américaines dans la région :«J’ai toujours adoré Jacques Brel pour ses textes, son personnage et son rapport à la scène, raconte-t-il. J’ai enregistré un disque de 11 chansons dédiées à sa musique à la Havane avec des musiciens cubains sur fond de salsa et de boléro, et lorsque j’ai fait écouter ce répertoire au Christopher à Saint-Barthélemy en 2007, ils ont tout de suite été emballés. Ce qui m’a ouvert d’autres portes à Saint-Martin. Très peu de gens chantent en français ici, poursuit-il. Et j’ai la chance de jouer mes compositions un peu partout sur l’île.» Après le Java l’année dernière, Alfredo anime désormais les sunset de la Samanna tous les jeudis. Il pourrait aussi se produire au Lagoonis prochainement. Le père de famille de 62 ans est régulièrement invité à chanter dans les villas et sur les yachts, et se dit comblé de pouvoir réaliser ce rêve d’enfant à Saint-Martin où il passe désormais tous ses hivers, et qui est devenu pour lui aussi, un véritable eldorado.    

Swanee Ngo Kanga

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