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Réseaux sociaux : les enfants sont-ils réellement en danger ?

Par Swanee Ngo Kanga
27 octobre 2023

Le psychologue pour enfants et adolescents Jérémy Dabadie-Saujot a fait une intervention remarquée lors de la table ronde sur la santé mentale le 18 octobre dernier en se positionnant à rebours des discours déclinistes.

Si un consensus existe autour de l’effet délétère des réseaux sociaux qui rendraient nos enfants «égoïstes et méchants» et accélèreraient le déclin moral de notre société, le psychologue Jérémy Dabadie-Saujot a jeté un pavé dans la marre mercredi dernier lors d’un colloque sur la santé mentale en proposant un tout autre regard. Une focale non pas à l’échelle individuelle, mais générationnelle. Pour lui, ces technologies traduisent des phénomènes profonds, puissants et même «philosophiques » qui chamboulent la société toute entière, y compris les adultes eux-mêmes. «Les réseaux dits sociaux n’ont rien de nouveau et sont apparus avec la révolution industrielle au 19ème siècle. Cela fait donc 150 ans qu’ils sont une lame de fond de notre ordre moral» a-t-il expliqué.

S’il ne croit pas dans les sirènes alarmistes, c’est que pour lui, loin de perdre en moralité, les jeunes d’aujourd’hui sont plutôt animés par un profond humanisme qui n’a rien à envier aux générations précédentes. Et pour étayer ses propos, le psychologue n’a pas hésité à remonter jusqu’à l’Ancien Régime, période où les enfants étaient élevés sans, ou avec peu d’amour, parce que le couple lui-même n’était pas encore un lien d’amour mais d’arrangements divers. « C’est une réalité historique », a-t-il souligné. Et d’ajouter : « Il a fallu attendre le capitalisme et la révolution industrielle pour mettre un terme à cette pénurie. C’est avec l’apparition des usines que les jeunes gens et les femmes ont pu s’épanouir en dehors de leur campagne et de leurs vies conjugales sordides. C’est cela qui a changé le rapport aux enfants en termes d’investissement affectif et qui fait naître l’amour parental tel qu’on le considère aujourd’hui ».

Quel rapport avec les réseaux sociaux ? Pour Jérémy Dabadie-Saujot, s’aimer et être aimé est la condition de la bienveillance. A une époque où la transcendance ne vient plus du ciel ou des systèmes politiques, les jeunes « voient dans l’autre la lumière que leurs aïeux voyaient en Dieu. Le regard ne se porte plus dans l’au-delà mais en face, et ce face à face entre deux êtres ne peut se faire sans sensiblerie ». L’ère du temps fait de vexations successives « où l’on ne peut plus rien dire » rendrait simplement compte de ce virage. Pour autant, l’émergence du moi sacré peut aussi être vecteur de progrès. La guerre par exemple comme sacrifice ultime résonne de moins en moins au fil des générations et pourrait un jour devenir simplement injustifiable. Dans cette optique, la supposée féminisation actuelle de la société témoignerait simplement d’une bascule entre le pragmatisme froid vanté jadis, vers des valeurs de réconfort et de douceur portées par les jeunes. «Ils apportent une humanité supplémentaire là où nous n’avions aucun mal à nous moquer ouvertement, y compris dans nos programmes télé, des personnes handicapées et des minorités en général».

Pour le psychologue, cela va donc plus loin que les écrans eux-mêmes. Le développement des enfants serait à mettre aussi en relation avec la condition des personnes qui les élèvent : «Nous devons nous déprendre de nos tendances nostalgiques, poursuit-il. Cela n’a pas commencé avec Tik Tok. Les jeunes ne croient plus en Dieu mais ont plus de bienveillance qu’aucune génération précédente avant eux. Alors faisons-leur davantage confiance sans être aveugles non plus. Il y a aussi des cours de maths ou de littérature sur les réseaux pour des jeunes dont les parents ne lisent plus».

Les réseaux sociaux seraient-ils inoffensifs ? « Ils facilitent certes la malveillance, mais je ne suis pas sûre qu’ils la produisent, argumente Jérémy. Le harcèlement a toujours existé, mais je pense que cette génération va gagner quelque chose que nous n’avons pas, un rapport différent au temps à une période où une actualité en chasse une autre. Ils vont développer une sagesse et une résilience en plus, car ils sauront que demain, tout sera oublié. »

Un avis que le docteur Eynaud – intervenant à cette table ronde - partage lui aussi. Pour lui également, les réseaux ne sont pas dangereux en soi, à condition d’en encadrer l’usage : « On voit malheureusement des enfants laissés jusqu’à 12 heures par jour devant les écrans le week-end. Mais si les parents modèrent leur utilisation et interagissent avec eux lorsqu’ils ont une tablette, en leur apprenant la diversité d’opinion, l’analyse et le recul, cela change tout. Ce n’est pas l’outil le problème, c’est ce que l’on en fait. »

Quelques réserves se sont tout de même levées dans le public: comment gérer la part d’incertitude de quelque chose que l’on ne maitrise pas ? Tous les enfants sont-ils réellement égaux face à cette capacité de résilience ? Réponse de M. Dabadie-Saujot : « Cette transformation ne se mesurera pas auprès des individus, mais de toute une génération. » 

Swanee Ngo Kanga

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