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Interview de Marie LARUELLE, Médecin oncologue à l’hôpital de Saint-Martin : « Plus tôt on agit, plus on a de chances de guérir »

Par Swanee Ngo Kanga
19 octobre 2023

Le mois d’Octobre Rose dédié à la lutte contre le cancer du sein bat son plein avec son lot d’événements et de conférences organisés pour l’occasion‭. ‬Nous avons rencontré le Dr Marie Laruelle‭, ‬seul médecin oncologue de l’île‭, ‬qui nous dresse un état des lieux de la maladie‭, ‬de son traitement et de sa prise en charge à Saint-Martin‭. ‬

Le 97150 : Quelle est la capacité de prise en charge des personnes souffrant d’un cancer du sein à Saint-Martin aujourd’hui ?

Dr Marie Laruelle : Depuis novembre 2021, l’hôpital Louis Constant Fleming est doté d’une unité de chimiothérapie et d’un centre d’imagerie médicale avec radiographie, mammographie et échographie mammaire. Nous assurons donc aujourd’hui l’intégralité de la phase de diagnostic du cancer du sein à Saint-Martin, du dépistage à la biopsie. En revanche, ce qui n’est pas encore disponible sur l’île, c’est le traitement par chirurgie qui nécessite de se rendre en Guadeloupe, en Martinique ou en Métropole. 

Le 97150 : Comment garantir une bonne continuité des soins malgré tout ?

Dr Marie Laruelle : Nous avons mis en place un parcours mutualisé avec la Guadeloupe qui est notre partenaire de soins. Cela nous permet d’organiser et coordonner la prise en charge des patientes dans leurs déplacements tout en respectant les délais impartis et la qualité du suivi après la chirurgie. Malgré cela, beaucoup de femmes restent convaincues qu’elles auront une meilleure prise en charge hors de l’île, ce qui n’est plus vrai du tout aujourd’hui dans le traitement du cancer du sein. Bien au contraire, voyager vers la métropole ou la Martinique lorsque l’on réside à Saint-Martin dispense du suivi que l’on pourrait apporter à ces patientes sur place dans la durée.

20 CAS DE CANCERS DU SEIN SUR L’ÎLE EN 2022

Le 97150 : Disposons-nous de chiffres pour Saint-Martin ?

Dr Marie Laruelle : En 2022, 20 cancers du sein ont été enregistrés à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. On observe surtout que l’incidence du cancer du sein est plus élevée en Guadeloupe et dans les îles du Nord qu’en Métropole.

Le 97150 : Comment garantir une bonne prise en charge des patients malgré le manque d’effectifs sur place ?

Dr Marie Laruelle : C’est très difficile. Je suis la seule oncologue de l’île depuis mon arrivée en 2017. En cas de contraintes, il n’y a pas personne pour me remplacer. Prendre des vacances est aussi quasiment impossible. Cette pénurie n’est pourtant pas spécifique à Saint-Martin mais provient de la spécialité elle-même. Et cela est d’autant plus problématique que les cas de cancers explosent partout dans le monde. J’ai actuellement une file active de 500 patients souffrants de différents cancers, dont 250 avec un cancer actif ou en rémission avec un très haut risque de récidive. Pour garantir malgré toute la continuité des soins, nous collaborons avec le centre de lutte contre le cancer Eugène Marquis à Rennes qui effectue pour nous des téléconsultations en mon absence, en coordination avec notre infirmière. Nous recrutons également une infirmière titulaire d’une spécialisation de 2 ans en oncologie qui sera habilitée à renouveler des prescriptions médicales. 

LES AIDER À SE RECONSTRUIRE

Le 97150 : Concrètement, à quoi ressemble l’accompagnement des personnes atteintes d’un cancer du sein à Saint-Martin ?

Dr Marie Laruelle : L’activité de soins se fait au plus proche des malades pour leur permettre de rester chez elles durant leurs traitements et de ne quitter l’île que pour de courtes périodes. L’équipe qui les accompagne compte deux infirmières référentes spécialisées en cancérologie, une assistante médicale, une psychologue, une assistante sociale et une diététicienne. Toutes ces personnes sont là pour les accompagner dans la prise en charge de la douleur ou encore dans la préservation de leur fertilité. Nous sommes très fiers d’avoir pu développer des soins de supports oncologiques en ville, en dehors de l’hôpital. Cela leur donne accès à un soutien psychologique, à l’aide d’une diététicienne, à un groupe de parole mais aussi à des activités physiques adaptées. Cet accompagnement est primordial pour les femmes qui ont survécu à un cancer du sein et qui doivent reprendre le chemin de l’emploi après avoir côtoyé la mort de très près. Le cancer impacte leur féminité et leurs corps qui sont altérés par les traitements. Après avoir survécu à la maladie, elles doivent retrouver une vie de femme au travail, de maman à la maison, d’épouse, alors que leur vie ne sera jamais plus comme avant. 

Le 97150 : Qu’est-ce qui peut encore être amélioré ?

Dr Marie Laruelle : Il y a encore beaucoup de choses à faire en matière d’après cancer sur l’île. En métropole, il y a des unités de soins entières qui s’y dédient. Toute leur offre de soins est spécifiquement conçue pour les patientes atteintes de cancers, ce qui n’est pas encore le cas ici. Nous devons par exemple mieux aider les patientes à faire face à la prise de poids provoquée par l’hormonothérapie et qui engendre parfois des problèmes conjugaux. Il y a aussi souvent un manque de connaissance des possibilités légales qui existent en termes de rémunération pendant leur arrêt de travail, de retour à l’emploi ou de prise en charge par la Sécurité Sociale. Notre assistante sociale les soutient mais il reste encore beaucoup de chose à développer sur l’île.

Le 97150 : Aimeriez-vous faire passer un message dans le cadre d’octobre rose ?

Dr Marie Laruelle : Oui. Depuis mon arrivée en 2017, j’ai constaté que trop souvent les femmes n’avaient pas recours au dépistage parce qu’elles pensent à tort que le cancer est une maladie dont on ne guérit pas. Même lorsqu’elles sentent une boule ou remarquent quelque chose d’inhabituel, elles préfèrent souvent faire l’autruche. Pourtant, à ce stade, elles peuvent encore guérir. Certaines attendent parfois 3 ans avant de consulter lorsque le cancer s’est déjà généralisé. C’est un phénomène que je n’avais pas observé lorsque j’exerçais à Montpellier. Je veux donc leur dire que plus tôt on agit, plus les chances de guérir sont grandes. 

Propos recueillis par Swanee Kanga.

Swanee Ngo Kanga

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