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Trafic de clandestins : on ne spécule pas sur la misère humaine !

Par Valérie DAIZEY
30 septembre 2022
Dimanche 25 septembre dernier, un voilier transportant 21 personnes de nationalité haïtienne était intercepté par la police aux frontières au large de la plage de Galisbay. Quatre individus, les membres de l’équipage, étaient interpellés. Après leur placement en garde à vue, ils étaient jugés en audience de comparution immédiate mercredi 28 septembre. Ils sont tous les quatre sortis du tribunal escortés et menottés, direction la Guadeloupe pour y purger des peines de 1 et 2 ans de prison ferme.
Dimanche dernier, la police aux frontières surveille un voilier, l’Angélica, d’environ 10 mètres (35 pieds), battant pavillon de Saint-Martin qui est au mouillage au large de la plage de Galisbay, à Marigot. Deux jours auparavant, la police aux frontières de Guadeloupe avait contrôlé ce même navire au large de l’île de la Désirade qui était en route pour Saint-Martin, et avait découvert à bord quatre membres d’équipage ainsi qu’une vingtaine de personnes de nationalité haïtienne. Prévenue de l’arrivée imminente de cette embarcation à l’aspect inquiétant sur les côtes de Saint-Martin, la police aux frontières a mis en place un dispositif de surveillance qui leur a permis de constater le débarquement de quatre hommes dans un dinguy, pour se rendre sur la plage de Galisbay, laissant au large le voilier au mouillage. Les quatre hommes sont interpellés et l’un deux, le capitaine du voilier, se débarrasse dans la mer d’une enveloppe contenant de l’argent, environ 1700 USD répartis en devises américaines et en dollars caribéens. La police aux frontières se rend sur l’Angélica resté au large et découvre 21 personnes de nationalité haïtienne, dont un enfant en bas âge. Ces personnes sont entassées dans les deux cabines du voilier, qui compte 8 couchages.
Les quatre individus soupçonnés d’être les membres de l’équipage, donc les passeurs de clandestins, sont interpellés et placés en garde à vue. De nationalité de la Dominique pour deux d’entre eux, du Guyana pour le 3e et français de Saint-Martin pour le 4e, tous résident pour autant sur le territoire saint-martinois, 3 côté français et 1 côté hollandais. Les 21 personnes de nationalité haïtienne qui ont fait un voyage agglutinées dans le voilier, entre la Dominique et Saint-Martin, plus de 20 heures en mer, ont quant à elles été prises en charge par les services de l’Etat et leur état sanitaire a été évalué. Elles seront évacuées vers leur pays d’origine par les autorités. Toutes ont été entendues par les enquêteurs et ont indiqué avoir payé entre 1500 et 3000 USD, selon qu’elles sont parties depuis la République Dominicaine ou depuis l’île de la Dominique.

Un trafic qui s’étend d’Haiti, via la République Dominicaine, la Dominique puis Saint-Martin

D’après les éléments recueillis par les enquêteurs, et malgré le déni des passeurs qui ont indiqué « s’être trouvés là pour faire un tour de bateau », ou encore pour le capitaine « vouloir tester le bateau avant de l’acheter », le trafic s’étendrait d’Haïti, en passant par la République Dominicaine, puis l’île de la Dominique où les candidats à l’immigration arrivent par avion ou par bateau. C’est depuis l’île de la Dominique qu’ils embarquent alors sur le voilier pour atteindre l’île de Saint-Martin.

1000 $ par passager pour l’équipage

Sauf que pour l’intégralité de cette opération de « passage de clandestins», les choses ne se sont pas déroulées comme prévu : le voilier Angélica qui appartient à un certain Monsieur G. qui réside à Saint-Martin, a rapidement montré des signes de faiblesse, avec des voiles endommagées et un moteur défectueux. Parti de Saint-Martin le 25 août, avec à son bord trois membres d’équipage, le capitaine, un mécanicien et un cuisinier, ainsi que des provisions en eau et en nourriture pour plusieurs jours, le voilier est tombé en panne de moteur et les voiles n’étaient pas opérationnelles. Le voilier a dérivé jusqu’aux abords de l’île de Montserrat, puis a été remorqué par un cargo jusqu’en Guadeloupe, à Deshaies. Là un autre membre d’équipage, le quatrième, qui était déjà sur l’île après être sorti de prison en janvier dernier, est arrivé. Il aurait été envoyé par Mr G. pour aider à réparer le bateau. Ce que ce 4e membre de l’équipage nie farouchement devant le tribunal et indique qu’il faisait partie du voyage comme les autres migrants, souhaitant rejoindre Saint-Martin alors qu’il n’avait pas de passeport. Or pour tous les autres migrants, ce 4e membre d’équipage montrait bien tous les signes d’un capitaine en second du voilier. Et la présidente du tribunal a dans les débats fait ressortir qu’il n’y aurait pas d’ambigüité sur le rôle joué par le 4e membre de cet équipage.

Fuir la misère et la précarité

Réparé, le voilier a mis le cap sur l’île de la Dominique, et c’est dans le canal entre la Dominique et la Guadeloupe que les 21 haïtiens, candidats à l’immigration clandestine pour fuir la misère et la pauvreté de leur île, sont montés à son bord en pleine nuit, dans l’objectif de refaire la traversée direction Saint-Martin. Là où ils ont été interceptés le dimanche 25 septembre par les officiers de la police aux frontières.

« Une organisation rodée et non pas le fruit du hasard »

Dénonçant « une affaire terrible d’exploitation de la misère humaine », le vice-procureur a, dans ses réquisitions, insisté sur le fait « qu’il s’agit d’une organisation et non pas les faits du hasard de s’être retrouvés sur ce voilier » comme les quatre prévenus se sont défendus à la barre. Il requérait deux années de prison ferme pour deux d’entre eux, le capitaine du voilier et son second, et un an de prison ferme pour les deux autres équipiers, le mécanicien et le cuisinier. A noter que trois d’entre eux, sauf le capitaine, présentaient de nombreuses condamnations à leur casier judiciaire, jusqu’à 32 pour « le cuisinier ».

L’enquête se poursuit pour démonter la filière et identifier les donneurs d’ordre

Le tribunal a suivi les réquisitions du procureur et a prononcé ces condamnations avec un maintien en détention pour les quatre prévenus. Le capitaine du voilier et son second ont également été condamnés à une interdiction du territoire français pendant 5 ans.
Le procureur de la République de Basse-Terre, Xavier Sicot, nous confirmait par ailleurs que « le parquet poursuivait les investigations pour tenter d’établir l’identité des donneurs d’ordre ». Force est en effet de constater qu’un réseau conduit par d’autres personnes seraient à la manœuvre de ce trafic de clandestins. En l’occurrence les individus qui auraient commandité les réparations du bateau et envoyé de l’argent pour ce faire. Mais, pour l’heure, les individus interpellés auraient tous « perdu » leur téléphone ou encore effacé les numéros compromettants qui figuraient dans leur répertoire. Une affaire à suivre, on l’espère…
Valérie DAIZEY

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