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Un médecin devant la justice

Par Ann Bouard
14 juin 2022
En mars dernier, le tribunal de Saint-Martin devait juger un chirurgien dont le patient était décédé des suites d’une opération au CHU de Pointe à Pitre. Un dossier complexe qui met sur le banc des accusés un médecin, mais aussi un système de santé que l’on sait défaillant. A travers cette affaire, ce sont les problèmes de la prise en charge et du suivi des patients entre Saint-Martin et la Guadeloupe qui étaient pointés du doigt. Le verdict était rendu jeudi dernier.
Chirurgien expérimenté, pratiquant la chirurgie digestive majoritairement et gynécologique, fort de 32 ans d’expérience au moment des faits, le médecin avait pris son poste en février 2015 à l’hôpital Louis Constant Fleming où il pratiquait la chirurgie viscérale. Un chirurgien compétent, aux gestes sûrs selon les témoignages des infirmières du bloc opératoire et du personnel du SMUR. Il n’avait eu au cours de sa carrière aucune plainte à son encontre. Il a quitté l'hôpital en février 2018 pour prendre sa retraite.
En mars, il était jugé devant le tribunal de Saint-Martin pour avoir provoqué involontairement le décès de l’un de ses patients en août 2015. Le médecin était entendu en visio-conférence depuis Toulon et la famille de la victime, qui s’est constituée partie civile, également en visio, depuis Chambéry.
 
La chronologie de la prise en charge
 
En 2015, le 6 mars, la coloscopie du patient, un homme de 63 ans, montre un épaississement du colon qui pourrait présager un cancer. Un diagnostic qui aurait dû être confirmé par un scanner, mais celui-ci n’aurait pas été retrouvé dans son dossier médical. Il consulte le chirurgien le 3 juin et ensemble ils programment l’intervention qui n’a pas de caractère d’urgence, pour le 6 août car le patient souhaitait partir en vacances avant. Il est opéré par cœlioscopie mais, en cours d’intervention le médecin juge nécessaire de l’ouvrir pour pratiquer l’ablation d’une partie du colon. Partie du colon, qui n’a a priori pas fait l’objet d’analyse post opératoire.
Le 9 août l’état du patient se dégrade subitement, laissant envisager un syndrome occlusif, cependant assez courant après ce type d’intervention. Il est traité par perfusion et antalgique, mais un dimanche, compliqué d’effectuer un scanner à Saint-Martin. Le 10 août au matin, le bilan biologique n’indique pas de symptômes sceptiques mais l’état clinique du patient est toujours mauvais. Il est sujet à des hallucination et des délires. Le médecin ordonne à 14h de réaliser un scanner qui ne sera fait qu'à 20h. Il montre une fuite au niveau de la couture, une fissure de l’intestin grêle et une péritonite. Un retard de 12h dans la prise en charge qui aura des conséquences selon les experts.
A 22h, le médecin pratique une seconde intervention et pose des drains pour éviter une nouvelle septicémie. Le patient devra être ventilé et intubé. L’hôpital de Marigot ne disposant pas de service de réanimation, il sera selon la procédure habituelle évacué sur le CHU de Pointe à Pitre le 11 août. Le lendemain, les drains sont enlevés et son état évolue alors favorablement avant de se dégrader à nouveau le 14 août. Le 19 août le scanner montre une fistule au niveau de la chirurgie, une péritonite plus grave. Les médecins de Pointe à Pitre décident de l’opérer à nouveau, mais l’homme fait un arrêt cardiaque pendant l’intervention. Il est décédé le 20 août à 11h26.
 
Une communication défaillante entre médecins
 
On reproche au prévenu d’avoir minimisé les causes de la péritonite intestinale, ne mentionnant pas dans son rapport l’anastomose colorectale (suture manuelle du côlon à la ligne pectinée). Le dossier et les circonstances ont été examinés par deux médecins experts parisiens. Si la première opération a été jugée conforme, le suivi opératoire lui ne l’a pas été.
Pour sa défense le chirurgien a indiqué que les drains ont été enlevés prématurément, déplorant que ses confrères de Pointe à Pitre n’aient à aucun moment essayé de le contacter; un désintérêt pour le dossier selon lui, d'autant que son appel au CHU le mercredi est resté sans suite. Selon le prévenu aucun chirurgien digestif n’a examiné son patient à son arrivé au CHU. Les experts indiquent effectivement dans leur rapport que la prise en charge à Pointe à Pitre n’était pas conforme, mais ce jugement est basé uniquement sur pièces car aucune audition des médecins de Guadeloupe n’a été réalisée.
L’absence de communication entre les deux hôpitaux, est le nœud du problème a rappellé le procureur de la République lors du procès : « l’équipe de Pointe à Pitre s’est basée sur un compte rendu sans mener d’autres explorations ».
Jeudi dernier le tribunal a mis fin aux poursuites envers le chirurgien en prononçant la relaxe. Il a déclaré recevable la demande de la famille qui devra saisir la juridiction civile, le tribunal ne se prononçant pas sur la responsabilité civile du médecin.
Ann Bouard

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