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Cour criminelle : des affaires inaperçues à St-Martin

Par Ann Bouard
31 mai 2022
Saint-Martin dispose d’un tribunal de proximité mais pour les affaires les plus graves c’est en Guadeloupe qu’ont lieu les procès, devant la cour d’Assises ou devant la Cour Criminelle. Un éloignement qui fait passer sous silence des faits commis sur le territoire. Or depuis le début de l'année, plusieurs affaires inquiétantes, dont deux pour des viols particulièrement odieux, ont été jugées sans que la population de Saint-Martin n'en ait eu connaissance.
Aucune communication n’est faite de la part des autorités judiciaires ou des forces de l’ordre sur bon nombre d’affaires. Or lorsque des faits portant atteinte à la sécurité des personnes sont commis sur le territoire et que l’auteur des agressions n’a pas été arrêté, il semblerait légitime que la population soit informée.
En février, un homme a été condamné à cinq ans de prison pour avoir violé de manière répétitive une amie de sa fille alors âgée de 14 ans. Quid du signalement de ce pédophile ?
Dans l’affaire qui était jugée la semaine dernière, deux femmes avaient été violées à quelques jours d’intervalle en décembre 2018 à Quartier d’Orléans. Puis en janvier 2020, même quartier, même mode opératoire pour une troisième victime. L’homme est toujours dans la nature et aucune alerte à la vigilance n’a été lancée.
D’autant que la particularité de Saint-Martin, partagé entre deux Etats, à proximité d’îles qui ne dépendant pas de l’Union Européenne, fait qu'il n’existe pas ou peu de coopération entre les polices de ces différents territoires. Il est facile pour les coupables de passer d’un territoire à l’autre pour échapper à la justice. C’est ce qui s’est passé dans cette dernière affaire de viols.
 
Un violeur récidiviste
 
En décembre 2018, une femme est violée par l’homme qui lui loue son logement, un cabanon insalubre. Il lui propose un rapport sexuel en échange de la gratuité du loyer ce qu’elle refuse. Il la viole devant son enfant de deux ans. En situation irrégulière et par peur qu’il s’en prenne à son enfant la jeune femme subit l’agression. Trois semaines plus tard, il se rend au domicile d’une amie de sa tante, et sous la menace d’un couteau, lui impose un rapport sexuel là encore en présence de l’enfant de la victime, qu’il menace de tuer car l’enfant crie. Elle apprendra lors de l’examen clinique qu’elle a été violée alors qu’elle est enceinte de deux semaines. Les deux femmes identifient l’homme, Francis Troy, et portent plainte.
Lors de l’enquête, les gendarmes recueillent les témoignages de membres de sa famille qui le décrivent comme dangereux et violent et découvrent qu’il a déjà été condamné pour viol à St Kitts, île dont il est originaire. Il est présent par intermittence à Saint-Martin et effectue de nombreux allers-retours entre les deux îles. Un mandat de recherche est lancé.
L’homme passera à travers les mailles du filet ; la procédure fait mention de son arrivée à l’aéroport de Juliana le 26 janvier 2020 et de son départ le 2 février 2020. Laps de temps qu’il met à profit pour violer une troisième femme. Alors qu’elle est dehors pour capter une connexion internet, il la menace pour lui voler son téléphone avant de pointer une arme sur son front, à l’arrière de sa tête puis sur sa nuque, pendant qu’il la viole. L’homme est masqué et porte une capuche, mais ses traces ADN permettent de l’identifier et de le relier aux deux précédentes affaires.
« Je regardais le ciel, c’était un ciel clair et beau. J’ai pensé, mon Dieu pourquoi est -ce que ça doit m’arriver ? » témoigne cette troisième victime devant la cour.
 
La douleur du flash-back
 
C’est en visio-conférence avec la cour criminelle de basse Terre que deux des trois victimes ont dû revenir sur le calvaire qu’elles ont vécu. Une épreuve difficile et la simple convocation à se présenter au tribunal a déjà été pour elles une source de stress. Elles ont pu surmonter ce moment difficile grâce au soutien de la psychologue et du directeur de l’association d’aide aux victimes, Trait d’Union, qui outre le soutien moral, l’accompagnement lors de l’audience, leur a permis également d’être assistées d’une avocate. Courageusement elles ont relaté dans les moindre détails leur agression et les conséquences de celle-ci sur leurs vies. L’une est restée cloitrée chez elle, s’est rasé le crâne, a eu des pensées suicidaires et a dû arrêter de travailler. L’autre vit au jour le jour et est toujours extrêmement fragile psychologiquement. Elles tentent de se reconstruire et toutes deux ont exprimé le même souhait devant la cour, que l’homme soit arrêté.
 
Une peine maximale, sans coupable pour la purger
 
Le procureur avait requis une peine de seize ans, mais le tribunal a jugé qu’aucun élément ne plaidait en faveur d’une peine indulgente. Il a été reconnu coupable de l’ensemble des faits qui lui sont reprochés et condamné à la peine maximale de 20 ans de réclusion criminelle et à une interdiction de port d’armes pendant cinq ans. Son nom sera inscrit au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes et un mandat d’arrêt international a été lancé. Si l’homme est arrêté, ce jugement lui sera notifié, mais il est en droit de le contester et peut demander à être jugé à nouveau, cette fois en étant présent.
Ann Bouard

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