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Procès des élus de l’exécutif : La justice pourrait-elle avoir été instrumentalisée ?

Par Valérie DAIZEY
19 janvier 2022
Ce questionnement a été en toile de fond des réquisitions faites par le procureur de Basse-Terre, Xavier Sicot, à l’issue des deux journées de débats dans le procès des élus de l’exécutif de la Collectivité, le président Daniel Gibbs et sa 1ere vice-présidente Valérie Damaseau. Sous-jacent à ce questionnement, juger de la culpabilité ou nondes élus, et particulièrement de Daniel Gibbs, de chefs de prévention de délits de favoritisme et de détournement de fonds qui lui sont reprochés, ne doit pas être dissocié du contexte de la catastrophe Irma qui a conditionné des actions et des mesures prises en urgence par l’exécutif. Parce qu’il fallait prendre des mesures d’urgence, et que personne d’autre ne l’a fait.
Le procureur Sicot, en préambule de ses réquisitions, a rappelé l’indépendance du Parquet dans les affaires présentées devant le tribunal, véritable clé de voute d’une justice pleine et équitable. Et dans les différentes affaires pour lesquelles Daniel Gibbs comparaissait, outre des phases d’enquêtes préliminaires au long cours dont les processus auraient été perfectibles, le procureur a demandé au tribunal de ne pas dissocier le contexte « Irma », qui reste marqué dans les chairs quatre ans après pour ceux qui ont vécu la catastrophe. Un contexte qui ne peut pas tout justifier, a indiqué le procureur, mais qui a impliqué la prise de décisions en urgence par la Collectivité, par humanité et pour la solidarité. Xavier Sicot a également rappelé les forts enjeux de ce procès à l’approche des élections territoriales et a démailloté l’ensemble des affaires classées par la présidente du tribunal en quatre dossiers (lire ci-contre), pour finalement n’en retenir que deux dont le délit de favoritisme lui semble plus tendancieux. La première de ces deux affaires concerne des commandes passées auprès de trois entreprises pour des prestations de voyages, des fournitures de carburant et des organisations d’événements (que nous développerons dans notre édition de vendredi) pour laquelle le procureur a émis le bémol que ces pratiques existaient antérieurement à l’arrivée au pouvoir de Daniel Gibbs. La seconde affaire dont le délit de favoritisme semble tendancieux et reste à caractériser concerne « l’opération toitures » que la Collectivité a mis en œuvre après le passage d’Irma en faveur de personnes précaires dont l’habitation avait été dévastée (à lire également dans notre prochaine édition). Pour ces deux affaires, le procureur a demandé au tribunal de juger si le délit de favoritisme est caractérisé, tout en considérant que les décisions étaient cependant opportunes pour la Collectivité au moment où elles ont été actées, et qu’elles n’ont pas apporté d’enrichissement personnel au prévenu Gibbs. « Si un décideur politique doit avoir la connaissance des règles de la commande publique et que le délit de favoritisme est là pour protéger les engagements des deniers publics, il ne faut toutefois pas bloquer les engagements de l’argent public. Dans le contexte post-Irma, il fallait engager des dépenses publiques pour venir en soutien à la population », a déclaré le procureur, en proposant au tribunal de faire des déclarations de culpabilité pour les faits de favoritisme avec une dispense de peines.
 
Sincérité de Daniel Gibbs et demande de relaxe
 
Dans ses réquisitions le procureur remarque que la seule affaire pour délits de favoritisme et de détournement de fonds qui était présentée devant le tribunal concerne celle mettant en cause les honoraires de 250 000 euros versés au cabinet de l’expert d’assurés Sandrine Trillard (lire l'affaire page 3). Une affaire pour laquelle il a émis un sérieux doute sur l’aspect du favoritisme : « Après le passage de l’ouragan, la préfecture a conseillé à la Collectivité de chercher un expert d’assuré afin de récupérer rapidement des indemnités pour lui permettre d’entamer la reconstruction de l’île. S’il est un soutien indispensable pour défendre les droits d’un assuré en cas de sinistre, un expert d’assuré n’est pas un philanthrope… La catastrophe est arrivée le 6 septembre, Julien Trillard, missionné par sa sœur Sandrine Trillard, a été réquisitionné et est arrivé sur l’île le 12 septembre. Sandrine Trillard est arrivée le 19 septembre. La déclaration de sinistre a été faite le 17 septembre et l’intégralité de l’indemnité contractuelle, les 15.250 M€ ont été versés dans un temps record. L’objectif a été atteint, le travail réalisé et les honoraires négociés de 2% ont été payés », a indiqué le procureur Sicot.
 
La date de fin de l’état d’urgence impérieux mise en cause
 
« Le problème dans ce dossier concerne la date de signature du contrat qui est intervenue le 14 octobre 2017, soit après la date décrétée a postériori de fin de la période impérieuse. Mais à ce moment-là personne ne connaissait cette date ? Ce n’est qu’en août 2019 que la date officielle de la date de fin de cette période impérieuse a été connue comme étant le 9 octobre 2017… L’infraction ne peut être caractérisée sur ces faits ! Et par ailleurs, Daniel Gibbs ne connaissait pas Sandrine Trillard qui lui a été présentée par Jean-Paul Fischer et Hervé Dorvil. Le favoritisme n’est ici pas explicable, le cabinet Trillard a les compétences en la matière et a travaillé en urgence dans les intérêts de la Collectivité. Ni le délit de favoritisme ni celui de détournement de fonds publics ne sont établis dans ce dossier, d’autant que les ordres avaient été donnés de plus haut de remettre rapidement en état de fonctionnement les écoles » s’est-il également exclamé. Et le procureur Sicot de conclure sur cette affaire en demandant la relaxe pure et simple des deux prévenue, Daniel Gibbs et Sandrine Trillard, et de concéder : « la justice doit savoir qu’elle peut se faire manipuler… Il y a des conflits de personnes qui sont liées à ce dossier. »
 
« Qui a fait quoi à part la Collectivité ? »
 
Relaxe pure et simple requise également par le procureur dans l’affaire impliquant plus particulièrement Valérie Damaseau et concernant la toiture refaite pour une dame âgée de 102 ans, résidente et figure emblématique de Quartier d’Orléans. « L’Etat français doit agir sur des situations d’urgence. Cette dame âgée, décédée depuis, ne voulait pas quitter son domicile. La logique a imposé à la Collectivité d’agir et la nécessité prend alors le pas sur le favoritisme. La Collectivité n’a certes pas agi dans un cadre juridique déterminé, mais qui a fait quoi pour cette dame à part la Collectivité ? L’action sociale a été mal montée juridiquement, mais le délit de favoritisme est à écarter ! ».
Des propos suffisamment éloquents de la part du procureur Xavier Sicot qui ont été salués par les avocats des différentes parties en présence, dont le bâtonnier maître Leborgne, avocat de Valérie Damaseau qui a « rendu hommage au procureur » et maître Bensimon Père du cabinet Bensimon père et fils, conseil de Sandrine Trillard, qui a entamé sa plaidoirie en indiquant que « le procureur a restauré l’honneur du parquet ». Le délibéré du tribunal sera rendu le 24 février.
Valérie DAIZEY

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