Projet One Shark : les profils se dessinent

En février 2022, les autorités annonçaient le lancement du projet One Shark visant à profiler les requins et à constituer une banque de données inédite. Trois ans plus tard, où en sommes-nous ? Nous avons rencontré Éric Clua, directeur scientifique, et Hadrien Bidenbach, biologiste, directeur du projet.
Désormais constitué en Groupement d’Intérêt Public (GIP), fonctionnant à l’année avec la collaboration d’Éric Clua, d’Hadrien Bidenbach, de chercheurs basés à Saint-Kitts et d’équipes techniques spécialisées dans les pêches scientifiques, le Projet One Shark intensifie ses recherches et alimente une banque de données, inédite à ce jour, sur les requins-tigres.
Dans ce cadre, l’équipe peut désormais accueillir des étudiants de haut niveau, titulaires d’un Bac +5 minimum. Un est arrivé cette semaine de Polynésie et l’autre viendra de l’Hexagone début avril pour travailler respectivement sur la télémétrie satellitaire et sur l’individuation, soit la problématique d’un individu et non pas de l’espèce.
Hadrien Bibenbach et Eric Clua
Intensification des pêches scientifiques
La mise en place de pêches scientifiques est complexe, car soumise à de nombreuses contraintes administratives. Si les sorties dans les eaux françaises s’effectuent avec le bateau de la Réserve naturelle à Saint-Martin et celui de l’ATE Saint-Barthélemy, dans les eaux internationales, il faut satisfaire aux législations locales et obtenir des permis. Pour simplifier, des accords pourraient être établis avec les pêcheurs de St-Kitts notamment.
En 2024, une trentaine de sorties ont été effectuées, ce qui a permis d’identifier environ 50 requins (une vingtaine en 2023). En 2025, une pêche scientifique hebdomadaire est prévue. Chaque requin capturé est marqué par un tag spaghetti fixé sur l’aileron et un cran sur la dorsale, permettant une identification visuelle. Une puce électronique (similaire à celle des animaux domestiques) est également implantée et les requins adultes de plus de 3m peuvent eux être dotés d’une balise, afin de suivre leurs déplacements. L’ADN est systématiquement prélevé sur tous les individus avant de les relâcher.
79 requins ont d’ores et déjà été identifiés dans les eaux de Saint-Martin, Sint Maarten Saint-Kitts, Anguilla, et Saint-Barthélemy. Leur ADN figure dans une sorte de fichier « S », qui peut permettre d’identifier un requin, notamment en cas de morsure, mais aussi d’estimer la population.
Mieux gérer les risques
Afin d’optimiser l’analyse des données, des discussions sont en cours pour créer un laboratoire de biologie moléculaire à Saint-Barthélemy ou avec la Ross University de Saint-Kitts qui forme des vétérinaires et possède déjà un laboratoire. L’objectif est de mutualiser les moyens, ces analyses coûtant extrêmement cher. À ce jour, les échantillons sont envoyés à Perpignan et il en faut 96 pour que cela soit rentable (1 seule coûtant le même prix).
Les balises quant à elles collectent de précieuses données sur les mouvements de requins et révèlent déjà l’existence de deux populations distinctes, l’une au nord, incluant Saint-Martin et l’autre au sud dans les eaux de Guadeloupe et de Martinique, où la population de requins est plus réduite en raison de la surpêche. On constate également que les juvéniles (+/- 8 ans) ne s’éloignent pas de leur zone de naissance.
Déconstruire la psychose autour des attaques de requins
Si l’on prend en compte les statistiques des 70 dernières années (1950-2023), il y a eu 1 attaque mortelle en 1950, 2 en 2013 et 8 en 2024. Vu sous cet angle, le nombre a doublé, mais les interactions entre l’homme et les requins sont, elles, passées de 4 à 24 millions d’usagers sur la même période. Autre facteur à retenir, le risque est incarné par un seul individu. Le requin ayant tendance à revenir au même endroit, le Projet One Shark optimise les chances de le capturer.
L'un des facteurs essentiels de l'incident de 2020 à Orient Bay a été l’absence d’activités humaines, permettant aux requins, habituellement absents de cette zone, de s’y aventurer. Cependant, il est essentiel de changer la perception des requins : ces animaux sont extrêmement prudents, voire craintifs vis-à-vis de l’homme.
Le requin impliqué dans l’incident de 2020 mesurait 2,95 m, tandis que celui de l’attaque de mai 2024 à Pinel serait d’environ 3,50 m. Il pourrait donc s’agir du même individu, une hypothèse qui pourrait être confirmée par des analyses ADN en cours sur un échantillon prélevé sur le t-shirt du jeune homme blessé.
Les travaux menés doivent désormais être validés par la communauté scientifique et c’est en bonne voie. Un premier article dans la revue scientifique internationale « Conservation Letters », paru en novembre dernier, valide la thèse du requin « singulier ».
Une petite partie des échantillons d'ADN prélevés lors des pêches scientifiques
Récupération de balises : appel à la solidarité
Une balise satellite posée sur un requin adulte coûte 5000€ et a une durée de vie de 6 mois. Lorsqu’elle se détache, elle est perdue en mer, or elle pourrait resservir. La balise continue d’émettre pendant une dizaine de jours, ce qui permet de la géolocaliser. Les scientifiques connaissent donc le moment où elle va se désolidariser du requin. Une de ces balises va se détacher près des Bahamas aux alentours du 28 février. Les responsables du Projet One Shark sollicite l’aide de plaisanciers ou de marins, qui souhaiteraient contribuer au projet et les aider à récupérer cette balise. Pour plus d’information ou proposer votre aide : contact.one.shark@gmail.com
