Affaire Erable / Groupe Deldevert : Les avocats unanimes pour dénoncer la forme du procès et le choix de la procédure
Le procès de l’affaire nommée par le Parquet « Erable » ne connaitra pas encore son issue cette semaine. Unanimes, les six avocats des six personnes physiques appelées à comparaître, ont tous mis en exergue le manque d’impartialité de l’enquête diligentée par le Parquet, un nombre important d’imprécisions dans les termes, les dates et les montants visés, l’absence d’instruction judiciaire au profit d’une enquête préliminaire qui a interdit de fait des débats contradictoires ainsi qu’un travail au fil de l’eau qui aurait pu être diligenté par les avocats. En conséquence, le tribunal a décidé de se laisser un temps supplémentaire pour analyser les arguments de nullité avancés par les avocats. La décision sera rendue le 18 janvier.
Très attendu par le public pour mettre en lumière toute cette affaire de sociétés nébuleuses créées autour du Groupe Deldevert, visant à profiter de la reconstruction post-Irma et des indemnités d’assurances, le procès qualifié comme devant être hors norme a une nouvelle fois fait chou blanc. Après avoir été convoqué début octobre dernier, puis renvoyé sur les trois premiers jours de cette semaine, lundi, mardi et mercredi, le procès a finalement été suspendu après 3h30 d’audience. Le tribunal a décidé de s’accorder un délai jusqu’au 18 janvier prochain, pour statuer sur les incidences en nullité argumentées par les avocats des six prévenus. En effet, les uns après les autres, et sans concertation préalable entre eux, chaque avocat a argué d’imprécisions et d’incohérences mettant en danger l’impartialité de la justice, comme elle se doit d’être.
« VIOLATION DES DROITS A LA DEFENSE »
Après que la présidente du tribunal a lu la citation à comparaître des prévenus, l’avocat de Mario Di Palma, Me Madid, a pris la parole pour apporter plus d’une dizaine d’incidences en nullité : « Tout est à l’avenant, on n’y comprend rien ! Je ne participerai pas à ce simulacre souhaité par le ministère public (…) C’est une violation des droits à la défense, impossible à résorber en 2 jours et demi d’audience, alors que l’enquête préliminaire s’est déroulée sur une période de trois années et représente un dossier constitué de plus de 17100 pages ! (…) », s’est exclamé Me Madid, poursuivant en remettant en cause le choix fait par le parquet d’introduire une enquête préliminaire au détriment de l’ouverture d’une information judiciaire qui aurait permis des échanges contradictoires. L’avocat parisien appuyait par ailleurs sur le défaut d’impartialité du parquet en ayant délibérément nommé le dossier « Erable », stigmatisant la nationalité canadienne d’un seul des prévenus, son client Mario Di Palma : « C’est un scandale, à la limite de la xénophobie, une violation au principe fondamental de la présomption d’innocence de mon client, duquel, dès le départ on a fait croire qu’il était en cavale, alors qu’il ne s’est jamais soustrait aux convocations, mais encore fallaitil qu’il en ait connaissance ! Les convocations ont été envoyées à une adresse imprécise à Sint Maarten alors que sur la plupart des documents l’adresse de mon client au Québec y figure ! », a-t-il poursuivi, insistant encore « l’état d’esprit et le caractère hasardeux du Ministère public ». Au total, Me Madid a relevé plus d’une dizaine d’imprécisions et d’erreurs dans la citation à comparaître de son client et a relevé l’incohérence d’avoir mené une enquête préliminaire plutôt que d’avoir ouvert une information judiciaire, empêchant alors toute possibilité d’assurer une défense en bonne et due forme. Il arguait de surcroît une plainte déposée par son client à l'encotre de l’enquêteur, qui avait été classée sans suite.
« LA DEFENSE SE LEVE POUR RETABLIR L’EQUITE »
Des propos et arguments repris tour à tour par les cinq autres avocats : « Face à la complexité du dossier, 17100 pages et pièces, la citation devait être d’une précision chirurgicale, alors qu’elle a été imprécise et non circonstanciée », a clamé Me Barreiro pour la défense de son client Alex Koening. « Le régime de l’enquête a privé mon client d’une partie de ses droits, le dossier est à charge. Nous demandons la nullité de la procédure en l’absence de l’impartialité du Ministère public », continuait-t-il, demandant au tribunal de « constater la nullité de la citation ». Idem du côté de Me Sarda, avocat de Guy Deldevert qui indique « ne jamais avoir vu ça (…) Un dossier de 17100 pages que le tribunal doit apprécier de façon éclairée en 2 jours et demi ? (…) Le Parquet va devoir assumer le choix de ses actes (…) Du fait du choix fait d’une enquête préliminaire, la défense n’a pas eu accès au dossier, alors que le Parquet a eu 3 ans pour mener l’enquête », poursuivait Me Sarda. Des propos encore renchéris par Maître Vayrac, assurant la défense d’Olivier Barny, et de surcroît s’indiquant « furieux de la façon dont cela se passe. Nous sommes à l’origine de la procédure avec la première plainte déposée auprès du vice-procureur de l’époque, Monsieur Paillard. C’est alors le JIRS (Juridiction Interrégionale spécialisée de Martinique ; lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière, NDLR) qui s’était emparé de l’affaire, et elle a ensuite été renvoyée à la section de recherche locale (…) L’enquête menée a rendu les victimes comme des coupables, alors que ce sont elles qui ont dénoncé les faits ! », s’est-il indigné, se rangeant aux côtés de ses confrères pour demander la nullité de la procédure.
LE TRIBUNAL SE RESERVE UN DELAI SUPPLEMENTAIRE POUR ANALYSER LES ARGUMENTS DES AVOCATS
Le ministère public reprenait quant à lui un par un les arguments d’incidence en nullité avancés par les avocats, et les rejetait un à un, à l’exception de 2 ou 3 « erreurs matérielles effectivement relevées dans la citation ». S’agissant de la discrimination argumentée quant au choix du nom donné à l’affaire, Erable, le procureur indiquait « une partie des fonds a été envoyée au Canada … rien ici ne démontre la partialité du Parquet. » Au sujet de la plainte contre l’enquêteur classée sans suite, le procureur Burnichon opposait qu’aucun élément n’avait permis de qualifier la plainte. Il demandait donc au tribunal de joindre au fond du dossier les conditions de nullité avancées par les avocats.
Après 1h30 de suspension de séance, le tribunal décidait l’impossibilité de joindre les incidents au fond et se réservait un temps supplémentaire pour analyser l’ensemble des incidences avancées par les avocats et convoquait une nouvelle audience au 18 janvier pour décider de la suite qui sera donnée à l’affaire : soit les incidences pour nullités seront acceptées et l’affaire sera close, soit elles seront jointes au fond du dossier et le procès pourrait alors avoir lieu à cette date ou bien renvoyée à une date ultérieure. « Une décision courageuse du tribunal ! », nous indiquaient Me Barreiro, Me Vayrac et Me Madid, au sortir du tribunal.
Pour rappel, le dossier nommé « Erable » par le Parquet, plus communément connue sous le nom « Groupe Deldevert », fait état de chefs d’accusation différents pour chacun des prévenus mais ont pour dénominateur commun l’abus ou la complicité d’abus de biens sociaux, le blanchiment d’argent et l’escroquerie, en vue de profiter des indemnisations des assurances après le passage dévastateur de l’ouragan Irma. Outre les six personnes physiques, Mario Di Palma et sa compagne Victoria Mas, Guy Deldevert, Olivier Barny, Yann Carel et Alex Koening, trois personnes morales sont également prévenues, la SAS Deldevert Construction, la SAS Hurrikane et la SARL Omnigate International. Des noms de sociétés peu connus du quidam, toutes gravitant toutefois autour du Groupe Deldevert.