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Cyrille Le Vely, à bâtons rompus

Par Ann Bouard
2 Mai 2025

En poste depuis bientôt trois mois, Cyrille Le Vely, premier préfet de plein exercice de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, s’inscrit dans une démarche résolument humaine, pragmatique et moderne. Plus discret que son prédécesseur, résolument ancré dans son époque, il cultive la proximité et l’écoute, tout en affichant une réelle capacité d’analyse des enjeux locaux, dans un contexte difficile, mais qui n’est pas pour lui déplaire.

Cyrille Le Vely se définit avant tout comme un homme à l’écoute, conscient des mutations profondes de notre société. Passionné, entre autres, de littérature et de dessin, doté d’un certain humour, il croit résolument en l’être humain en qui il voue une confiance indéfectible quant à sa capacité à accueillir le changement. Fasciné par la manière dont les jeunes arrivent à acquérir une culture générale à travers les outils numériques, il se refuse à tout discours condescendant. « Il faut apprendre à regarder le monde autrement, à relativiser, à ne pas avoir toujours raison, à écouter, à prendre la mesure de toute chose et à agir sans reproduire un modèle qui n’est pas adapté à la situation», confie-t-il. Une manière foncièrement optimiste de voir la vie et sans a priori !

À chaque préfet, son cycle

Un préfet, est un homme dans un temps, dans un territoire et le métier est exigeant. Cyrille Le Vely ne le cache pas, la prise de responsabilités permanente, des décisions parfois impopulaires, et des relations de force inévitables, quels que soient les interlocuteurs ou les lieux, peuvent parfois user la mécanique. Tout dépend alors de la mission que le préfet se donne, et surtout du moment où il l’exerce. « Comme tout est cyclique, chaque préfet incarne un nouveau cycle, influencé par son époque, les enjeux du territoire et les équilibres politiques du moment », résume-t-il.
Mais le préfet reste avant tout le représentant de l’État, chargé de mettre en œuvre les politiques publiques décidées par le gouvernement, et si le gouvernement change, il doit être capable d’en appliquer de nouvelles. « C’est inhérent à la fonction, et  si on ne peut le faire,  il faut changer de métier», estime-t-il.
Cependant, si la fonction a évolué et les clivages politiques moins tranchés qu’autrefois, la mission reste la même : faire en sorte que cela fonctionne. « Nous avons une obligation de moyens, et si possible de résultats. » Et ces moyens, ce sont ceux des services de l’État, dans un cadre où les compétences sont aujourd’hui largement partagées avec d’autres institutions, notamment les Collectivités. 

Compétences : un travail commun nécessaire

La notion de compétences est donc intéressante à évoquer, mais pour Monsieur le Préfet,  « aucun acteur ne détient toutes les clés, il faut apprendre à ouvrir les portes ensemble. »
Si la loi organique définit clairement certaines compétences – par exemple la fourrière, qui relève de la Collectivité –, la mise en œuvre concrète exige souvent une coopération étroite entre les services de l’État et les autorités locales. « Trouver un terrain, l’aménager selon les règles d’urbanisme, en garantir la sanctuarisation, puis assurer sa gestion, tout cela ne peut se faire qu’en synergie. Cela devient une œuvre collective », insiste-t-il. C’est un outil dont on a besoin, mais la notion de temps est importante. Il y a des territoires où le fait d’agir prend plus de temps, non par manque de volonté, mais du fait de la complexité du contexte local. « Ce n’est pas à moi de déterminer les priorités de la Collectivité, mais je peux accompagner les dynamiques communes ». 

La sécurité est un dossier qui s’impose

S’il n’y a pas vraiment de dossiers prioritaires pour lui, des dossiers s’imposent d’eux-mêmes comme celui de la sécurité. Les citoyens ont des besoins, et souvent des besoins vitaux. La sécurité est la première des libertés et l’État doit protéger les citoyens. Concrètement, il ne s’agit pas d’une série de mesures ponctuelles, mais d’un continuum d’actions, visant à installer durablement une société sécurisée.
En référence à l’opération  « déposez les armes » actuellement développée en partie néerlandaise, il en convient, même s’il ne faut pas avoir la naïveté de penser que cela va faire disparaître toutes les armes en circulation, il faut renouveler cette opération en partie française. Dans la continuité de ses prédécesseurs, il croit cependant en la prévention et dans la multiplication des contrôles comme les opérations « souricières », un mode opératoire adapté à la problématique de la délinquance ou de la sécurité routière de l’île.
Mais pour aller plus loin, le CLSPD (Conseil Local de Sécurité et de Prévention de la Délinquance) doit, selon lui, être consolidé. « Il faut remettre tout le monde autour de la table – parquet, associations, commerçants, Collectivité – et travailler quartier par quartier, sujet par sujet. Ces outils existent depuis vingt ans, encore faut-il les adapter au terrain. »
Dans le même registre, un tribunal de plein exercice serait également une bonne chose, et dans une évolution logique suite de la création de la préfecture de plein exercice. Il y a toujours plein de choses à améliorer notamment en matière de sécurité, admet-il, mais il faut être conscients que les moyens sur les îles du nord sont déjà importants ;  un gendarme pour 1000 habitants dans l’hexagone, 3 gendarmes pour 1000 habitants à Saint-Martin !

Les enjeux énergétiques

L’énergie, besoin vital pour la population, est un sujet fondamental dans un contexte mondial de décarbonation, de changement climatique et de mobilisation des ressources naturelles. Pour le préfet, il n’y a pas une seule solution, et les petits territoires  dépendant de leurs seules capacités à produire de l’énergie doivent innover. Cependant, le lancement des grands projets dépend encore de la validation par l’État de la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Énergie), un document stratégique dont les enjeux financiers sont majeurs. « Sans les millions d’euros nécessaires, les projets restent à l’arrêt, et dans un contexte budgétaire tendu, les arbitrages entre territoires sont complexes », reconnaît le préfet, qui indique ne pas avoir encore de visibilité sur ces décisions nationales.
Mais, le risque cyclonique ne doit pas être un frein à l’innovation énergétique. Il cite l’exemple de La Réunion, où les chauffe-eaux solaires et les panneaux photovoltaïques sont largement installés.
« Il ne faut pas que cela soit vu comme une contrainte ou une norme supplémentaire, mais comme un outil au service de l’île », insiste-t-il.
Il plaide pour la mise en place de dispositifs concrets, à la fois en matière d’énergie, mais aussi dans d’autres domaines. « Il faut aller vers les consommateurs, leur proposer des aides adaptées. Cela doit être gagnant-gagnant : moins de dépendance pour les citoyens, plus d’énergie renouvelable pour le territoire. »

Un territoire exigeant, mais porteur de sens

« Ce n’est pas faire injure à Saint-Martin que de dire que c’est un territoire difficile », mais « je trouve la tâche intéressante, car mieux vaut se trouver dans des fonctions où il y a beaucoup à faire plutôt que de se contenter de couper des rubans » indique le Préfet. 
L’île est séduisante par l’ambiance, la beauté de ses paysages, la fraternité dans les relations humaines, le multiculturalisme - une donnée forte -, ce sentiment d’appartenir à une petite communauté, l’histoire de cette île et son positionnement dans la Caraïbe en contact direct avec d’autres cultures. Mais au-delà des banalités, l’approche du nouveau préfet est bien plus profonde. « Tout est important » et s’il s’inscrit dans la continuité sur les dossiers dont il a hérité à son arrivée, il entend bien approfondir certains sujets comme la coopération avec Sint Maarten, indispensable sur une île binationale.
Il évoque notamment les problématiques liées à l’immigration illégale ou aux pratiques frauduleuses, avec un objectif clair : faire respecter la loi de manière équitable pour tous les citoyens.
Si Cyrille Le Vely devait utiliser son fameux droit d’exception à Saint-Martin, ce serait probablement pour faciliter l’harmonisation de certaines normes avec Sint Maarten. Car sur un territoire aussi imbriqué, il lui semble absurde de raisonner sur un modèle de 35 000 habitants alors que l’ensemble de l’île en compte environ 80 000.
Il donne un exemple très concret : le sang. Il n’y a rien de plus universel que le sang, mais, les normes européennes interdisent aujourd’hui de transfuser à Saint-Martin du sang en provenance de Sint Maarten. « En cas de pénurie, il faudra bousculer les règles du jeu, et peut-être que le préfet devra prendre un arrêté d’exception. » C’est ce type de sujet – concret, sensible, transfrontalier – que le préfet souhaite faire avancer pendant son mandat. « Le temps où je serai là, je vais contribuer à installer des choses ; certaines vont aller très vite et d’autres prendront un peu plus de temps » conclut-il.

Ann Bouard